MAURICE (ÎLE)

MAURICE (ÎLE)
MAURICE (ÎLE)

Île indépendante au sein du Commonwealth, terre à majorité indienne où le français est la langue de la presse et d’une grande partie des communications sans être la langue officielle, lieu où coexistent peuples, langues et religions d’Asie, d’Europe et d’Afrique, Maurice pourrait être écartelée entre mille conflits. Une unité profonde y règne cependant, par-delà les cloisonnements et les contrastes. Le créole, hérité de la première colonisation et qui est très proche de celui que l’on parle aux Seychelles et à la Réunion, la conscience d’une identité insulaire, une structure sociale marquée par la plantation coloniale mais aussi par l’émergence d’une importante classe moyenne, la solidité des institutions enfin ont peu à peu exorcisé les vieux démons des antagonismes ethniques.

La vitalité intellectuelle, l’intensité du débat politique, la multiplicité des courants religieux venus d’Asie, du monde musulman et de la chrétienté, les efforts dans le domaine agricole donnent de ce pays une image attachante et d’emblée positive. Les problèmes ne manquent pas, mais on est loin de l’image déprimante de certains pays tropicaux où des dictatures se sont installées et pèsent sur un peuple sans espoir. La présence internationale de Maurice – présence politique, technologique (canne à sucre) et financière, sans rapport avec la petite dimension du pays – tient à ces qualités et à ce dynamisme. Le remarquable essor industriel des années quatre-vingt doit beaucoup, lui aussi, au niveau culturel de la population de l’île et à la solidité de son organisation sociale.

1. Le milieu et les hommes

L’île aux dodos

À 900 kilomètres de Madagascar, centrée par 200 15 sud et 570 35 est, l’île Maurice (1 850 km2) fait partie avec l’île de la Réunion et l’île Rodrigues de l’archipel volcanique des Mascareignes. La plus ancienne des séries volcaniques tertiaires qui la composent subsiste sous forme de reliefs résiduels aux formes hardies, conférant au paysage de plaines côtières, en contrebas d’un plateau central né du volcanisme récent de type hawaiien, sa principale originalité. À l’exception du calcaire fourni par le corail des récifs frangeants, interrompus au sud et à l’ouest, qui la bordent, l’île ne possède aucune ressource minérale.

Le climat tropical, tempéré par les influences océaniques, bénéficie du souffle humide de l’alizé du sud-est qui engendre les classiques oppositions de versants: si le Centre et le Sud reçoivent de 2 à 5 mètres de précipitations, le Nord et l’Ouest peuvent souffrir de la sécheresse. Située sur la trajectoire des cyclones tropicaux du sud-ouest de l’océan Indien pendant l’été austral, l’île est parfois ravagée par ces météores. Les très fortes précipitations qui les accompagnent profitent toutefois à son agriculture. La fertilité des sols tropicaux rouges, issus de la décomposition des basaltes, est limitée par le caractère récent des coulées: les tas d’épierrement sont un trait spécifique du paysage agricole. De la curieuse faune insulaire, célèbre par ses tortues géantes et ses oiseaux sans ailes (dodos) maintenant disparus, il ne subsiste que très peu d’espèces; il en est de même pour la végétation indigène dévastée par l’homme et dénaturée par l’introduction de multiples espèces: la forêt d’altitude à mousses, fougères, épiphytes, pandanus, qui dominait une forêt plus claire à palmiers et ébéniers, la savane à palmiers, les formations buissonnantes qui occupaient les plaines plus sèches. Sols et sous-sols sont très perméables. L’évaporation aidant, l’irrigation devient nécessaire au-dessous de 1 500 mm de pluies annuelles. Des lacs réservoirs artificiels drainant les eaux de surface, l’exploitation récente des eaux souterraines satisfont difficilement les besoins croissants de l’île.

Les efforts de développement

L’état sanitaire, grâce à un accès aisé aux services médicaux, à la généralisation de la distribution d’eau potable, à une nette amélioration de l’alimentation depuis deux décennies, a évolué très vite et favorisé une poussée démographique. Les possibilités d’émigration vers la Grande-Bretagne, la France et divers pays d’Afrique se sont taries, et il ne reste que l’Australie et le Canada qui puissent assurer un certain débouché à ce surplus de population. Mais ces pays opèrent une sélection très rigoureuse qui les ferme à une bonne partie des Mauriciens. La forte densité de la population (près de 600 hab./km2) a suscité bien des inquiétudes. La fermeture des principaux pays d’immigration et l’expansion de la population semblaient conduire à une catastrophe démographique, à laquelle on ne voyait pas d’issue au cours des années soixante-dix. Des mesures efficaces de planning familial, accompagnées d’un profond changement des valeurs dans une société en mutation, ont conduit à une transition démographique bien plus rapide qu’on ne pouvait s’y attendre. Associée à la création de nombreux emplois, cette évolution repousse les perspectives les plus sombres et les éloigne peut-être à jamais.

La stratification de la société est très marquée par le contraste entre les communautés ethniques. C’est l’Inde qui a fourni le plus important contingent d’immigrants au XIXe siècle, et leurs descendants ont la majorité absolue dans l’île. Certains sont musulmans. Parmi eux, la majorité descendent de travailleurs agricoles venus des provinces du Nord (surtout du Bihar); ils sont encore largement fixés dans les campagnes, où beaucoup sont devenus de petits propriétaires. Au cours des vingt dernières années, beaucoup de leurs enfants ont pu accéder aux professions libérales et à la fonction publique. D’autres musulmans, venus en nombre bien plus restreint du Gujerat, se sont fixés dans la capitale où ils détiennent une part considérable du commerce des tissus et où ils participent à des groupes financiers importants. On note également la présence d’une petite communauté chiite dans un quartier de Port-Louis. Mais la majorité des immigrants de l’Inde étaient des hindous. C’est leur présence qui a donné à Maurice ce visage hindou qui ne peut manquer de frapper. Temples, lieux de pèlerinages, fêtes et processions, usage de l’hind 稜 à la télévision et au cinéma marquent cette présence indienne, caractérisée par une coexistence entre Indiens du Nord, majoritaires, et Indiens du Sud (tamouls et telugu), minoritaires: des contrastes de caste et de langue établissent ainsi dans la population mauricienne de subtiles lignes de partage et de solidarité et y perpétuent le chatoiement sociologique de l’Inde. Mais, simultanément, la «créolisation» crée un dénominateur commun entre ces groupes et nuance les discontinuités. Il en va ainsi entre les communautés originaires de l’Inde qui trouvent dans la référence culturelle et linguistique créole une base de communication; c’est surtout par ce biais qu’elles s’articulent dans la société globale à d’autres groupes aux origines très diverses.

Omniprésents bien que relativement peu nombreux, les Chinois jouent un rôle, aussi bien en tenant un grand nombre de petites boutiques d’alimentation dans les campagnes que parmi les élites intellectuelles et commerciales du pays. Les Blancs, essentiellement des descendants des anciens colons français qui ont pu maintenir leur langue, leur identité et leur prépondérance économique dans tout le secteur sucrier, sont peu nombreux, mais leur puissance est considérable. Elle s’exprime bien plus dans le contrôle des terres à canne, des usines à sucre, des sociétés d’import-export et d’une partie des nouvelles industries tout en demeurant d’une grande discrétion sur la scène politique. Détenant les circuits économiques indispensables à la survie de l’île, ils représentent une force réelle avec laquelle tous les gouvernements ont dû trouver des accommodements. Leurs liens internationaux sont importants, non seulement avec l’Europe mais aussi avec l’Afrique du Sud et l’Australie.

Ces communautés ne sont pas étanches. Des métissages et une interpénétration culturelle originale ont donné naissance à la «population générale». Elle n’est pas une communauté ethnique, mais bien le résultat de la rencontre des groupes les plus anciennement implantés – Africains, Malgaches, Blancs – ainsi que des métissages plus récents avec des Asiatiques. Elle est complexe, allant de la bourgeoisie «créole» très influencée par le modèle franco-mauricien, bien qu’elle demeure coupée des Blancs, aux pêcheurs des villages du Sud et de l’Ouest chez qui la composante africaine est la plus marquée. Ainsi est née une culture créole qui prend appui sur ce groupe qui a une grande force de création (langue, musique, cuisine, façons de vivre); proche des autres cultures créoles de l’océan Indien, c’est à travers elle que se forme une grande partie de l’identité mauricienne, même chez les membres des groupes ethniques qui en sont apparemment les plus éloignés. Les 25 000 pêcheurs et agriculteurs d’origine africaine de l’île de Rodrigues peuvent s’y rattacher eux aussi, bien qu’ils fassent montre d’une incontestable originalité culturelle.

L’économie mauricienne a longtemps reposé sur la culture de la canne à sucre. Celle-ci a marqué les paysages agraires en créant de vastes zones de monoculture. Dans certaines régions se maintient encore le tableau des grandes propriétés détenues par une aristocratie foncière entourées des villages des prolétaires ruraux. Cependant, Maurice est caractérisée dans son ensemble par l’importance, entre ces deux pôles sociaux, du groupe des petits planteurs propriétaires. Issus des travailleurs agricoles indiens engagés sur les propriétés sucrières, ils ont assuré leur promotion sociale par l’achat systématique des terres qui se morcelaient au XIXe siècle, par l’occupation de zones encore inexploitées, par l’édification de villages paysans plus ou moins directement liés aux plantations. La production vivrière y trouve son principal point d’appui, bien que ces planteurs comptent largement sur la canne à sucre pour s’assurer un revenu stable. Les campagnes mauriciennes sont d’ailleurs l’objet d’un profond remaniement: essor des moyens de transport, dispersion des usines, implantation tout autour de l’île de complexes touristiques, diversification des emplois. La société traditionnelle, marquée par l’hindouisme et par l’islam, s’en trouve ébranlée; les générations les plus jeunes ont tendance à se libérer de l’emprise des familles qui tentent de maintenir les anciennes structures et les anciens mode de vie, et à aligner leurs comportements sur ceux de la population créole.

Omniprésente en contrebas des montagnes isolées livrées au bois, aux broussailles, au thé, la culture de la canne à sucre dissimule les autres cultures, très secondaires. Diversification des cultures et irrigation tendent à accroître les ressources alimentaires de cet espace exigu.

Le gouvernement mauricien a tiré habilement parti de la position géopolitique de l’île et de la conjoncture internationale pour amorcer un nouveau développement. S’appuyant sur la qualité et l’abondance de la main-d’œuvre, ainsi que sur l’existence de cadres et de capitaux mauriciens, il a systématiquement favorisé le tourisme international et surtout l’implantation d’industries manufacturières. Au début des années soixante-dix, Maurice était encore presque exclusivement une «île à sucre». Un premier décollage économique avait suivi de peu l’indépendance (qui date de 1968) grâce à la montée en flèche du cours mondial du sucre. Le doublement du P.I.B. en quelques années favorisa le déclenchement d’un processus cumulatif de croissance que la création de zones franches multiplia par l’apport d’investissements étrangers. Simultanément, la modernisation industrielle, qui toucha le secteur sucrier, fut réductrice d’emplois, ce qui poussa plus encore les autorités vers une politique très volontariste en matière d’industrialisation.

La zone franche de transformation (Mauritius Export Processing Zone) est créée dès 1970, sur un modèle inspiré de Taiwan. Elle connaît un démarrage prometteur, puisqu’elle attire, entre 1970 et 1976, 85 entreprises, créatrices de plus de 17 000 emplois. Les exportations de biens manufacturés, quasi inexistantes en 1970, atteignent 308 millions de roupies en 1976.

Le tableau s’assombrit alors: une certaine instabilité sociale, le coût croissant de la main-d’œuvre, les restrictions apportées par certains pays importateurs (en particulier un très gros client, la France) entravent l’essor initial. Le déficit du commerce extérieur devient alors très lourd, et Maurice doit recevoir l’aide de la Banque mondiale, sans suivre toutefois toutes les recommandations du F.M.I., qui risquaient d’entraîner de graves troubles sociaux. Jusqu’en 1982, la stagnation rend à nouveau incertain l’avenir de Maurice où le chômage s’accroît. C’est alors que survient une relance considérable. De 1982 à 1984 s’installent 80 autres entreprises qui créent 15 000 emplois. Les exportations de biens manufacturés atteignent 2,1 milliards de roupies en 1982.

Pour soutenir ces efforts, le gouvernement crée le M.E.D.I.A. (Mauritius Export Development and Investment Authority), qui prospecte les nouveaux marchés, incite au développement de nouvelles activités et à l’innovation technologique. Simultanément, à la zone franche industrielle s’ajoute en 1981 une «zone franche de services» qui encourage les entreprises de service à l’exportation. D’importantes exemptions de taxes sont accessibles à des services très divers: conseils juridiques, comptabilité, informatique, marketing, traduction, dessin technique, etc. À la fin de 1984, il existait déjà 64 entreprises relevant de cette nouvelle zone.

Outre ses conséquences économiques directes, l’essor des zones franches a eu un retentissement social notable. Les zones franches ne sont pas géographiquement localisées – il s’agit d’un statut et non d’un espace –, si bien que les entreprises de zone franche ont été encouragées à se disperser à travers tout le pays, où elles touchent en profondeur la société rurale et son évolution. La réduction régulière de la main-d’œuvre agricole n’entraîne pas une migration vers les villes, car il existe une solution sur place, les manufactures venant remplacer les plantations, dans des conditions parfois analogues d’ailleurs. Loin de se dépeupler, les campagnes mauriciennes restent bien vivantes.

L’habitat s’est radicalement transformé en quelques années, grâce à l’investissement prioritaire qu’il représente dès qu’un revenu monétaire est disponible. Le gouvernement a fait un gros effort en vue de rendre la scolarité primaire et secondaire, ainsi que les soins médicaux, accessibles dans toutes les régions. Cette stabilité de la population dans les zones rurales et le maintien de la vie sociale villageoise dans une société déjà très industrialisée sont des faits dont l’importance est grande pour l’équilibre social du pays. La zone franche de service est plus concentrée à Port-Louis en raison du profil de ceux qu’elle emploie.

C’est donc une image de prospérité que présente l’économie mauricienne en 1988. Le sucre lui-même y contribue. Après quelques années de sécheresse (1983, 1984, 1985) qui avaient fait chuter sa production d’environ 50 000 tonnes par an, 1986 et 1987 ont révélé la qualité de l’entreprise sucrière mauricienne: sur un peu plus de 75 000 hectares, l’île a produit en 1986 un record de 707 000 tonnes de sucre. Le rendement en canne à l’hectare et le taux moyen d’extraction (plus de 11 p. 100) sont élevés, grâce à un remarquable encadrement technique qu’appuie une recherche de pointe. Ces résultats s’accompagnent d’une concentration des usines et d’une régression de l’emploi, qui a baissé de 11 700 entre 1977 et 1985, pour se stabiliser en 1988 à 43 000.

Le développement des entreprises en zone franche a plus que compensé ce déficit d’emplois: 14 000 créations en 1984, 19 300 en 1985, 20 000 en 1986. Ces chiffres considérables donnent une appréciation de l’ampleur de l’industrialisation. Ces résultats se reflètent dans les chiffres du commerce extérieur: les exportations de sucre, tout en progressant, de 2 462 millions de roupies en 1982 à 3 564 millions en 1984, se situent au deuxième rang, derrière les vêtements de fabrication mauricienne; ceux-ci – et ils sont loin d’être les seuls produits manufacturés – passent de 881 millions à 4 054 millions de roupies au cours de la même période. D’autres activités (horlogerie, joaillerie) connaissent aussi un essor spectaculaire.

Avec un P.I.B. en forte croissance, une inflation modérée, le plein-emploi réalisé au début des années 1990, Maurice offre le tableau d’une économie en pleine expansion. Il reste à espérer que cette société démocratique saura éviter le piège des inégalités croissantes. La vigilance des syndicats, le pouvoir de négociation de salariés dont on commence à manquer pour développer de nouvelles activités semblent devoir jouer le rôle de facteurs d’équilibre.

Ayant adopté, après divers tâtonnements, un modèle de développement proche de celui des pays d’Asie auxquels tant de liens l’attachent, Maurice en reçoit les bénéfices. Son interaction intense avec le monde économique, culturel et scientifique occidental lui donne de plus une chance sérieuse d’associer à ce progrès un développement qui atteigne toutes les strates de la population. Cependant, la tâche des gouvernements qui ont si bien su réaliser la première étape du développement, en lui assurant de solides bases économiques, n’est pas achevée. Il faut consolider celles-ci en les diversifiant; il faut surtout faire face aux menaces environnementales que les changements récents ont accrues. Il leur incombe enfin d’asseoir sur ces bases la dynamique d’une culture dont la vitalité tient en partie au fait qu’elle est toujours au bord de tensions – entre les communautés, entre les religions, entre les classes sociales.

2. De l’île déserte à la nation

«Étoile et clé de la mer des Indes»

Trouvée déserte par les Portugais, l’île Maurice est fréquentée par les Européens sur la route des Indes au XVIe siècle. Les Hollandais la baptisent et l’occupent pour son ébène de 1598 à 1710. Recolonisée depuis Bourbon en 1721, elle devient l’île de France. Les débuts sont difficiles sous le monopole de la Compagnie des Indes. Rendue au roi, elle devient une base majeure pendant la montée de la rivalité franco-anglaise pour le contrôle de l’Inde. Elle dirige les Mascareignes, colonise les Seychelles, commerce avec l’Inde, se livre à la traite à Madagascar et sur la côte du Mozambique pour développer ses plantations. Autonome sous la Révolution française, elle devient le centre de la guerre de course dans l’océan Indien et fait commerce du riche butin ramené par Surcouf et ses émules, mais elle tombe en 1810 aux mains des Anglais, et le traité de Paris de 1814 en fait une colonie britannique où reste curieusement en vigueur l’essentiel des codes napoléoniens. Le XIXe siècle est marqué par le développement considérable de la culture de la canne, mais, en 1835, l’émancipation des esclaves, qui représentent alors les sept dixième de la population, suscite une crise de main-d’œuvre. Les colons y remédient en introduisant, jusqu’en 1907, plus de 450 000 travailleurs indiens «engagés», dont plus de 280 000, restés dans le pays, pénètrent peu à peu tous les secteurs de l’économie et bientôt la vie politique. À la suite de la Seconde Guerre mondiale, les réformes dont bénéficie l’île Maurice facilitent leur marche au pouvoir.

Décolonisation et communalisme

Le 12 mars 1968, l’île Maurice devenait indépendante à la suite d’un lent processus de décolonisation, qui l’avait menée, en vingt ans, de la situation de colonie à celle d’État souverain: cinq Constitutions jalonnent cette période, dont les principales dates sont l’institution du suffrage universel et d’un début de responsabilité ministérielle en 1958 et la création d’un Conseil des ministres et d’une Assemblée législative en 1964. À vrai dire, cette évolution devait seulement conduire à une autonomie interne (atteinte réellement au début de 1967).

Sous la poussée des hindous et malgré les réticences des autres communautés et notamment de la «population générale», le principe de l’indépendance est adopté le 21 août 1967 à la suite de ces élections. Les Anglais quittent la scène, laissant aux prises les divers groupes ethniques, non sans avoir multiplié les précautions: constitution détaillée, garantie des droits des minorités.

La Constitution du 12 mars 1968 est un document fort long, établi par les experts du Colonial Office après consultation des diverses tendances politiques mauriciennes, sur le modèle habituel des constitutions du Commonwealth. À l’origine, l’île Maurice était une monarchie dont le souverain était Sa Majesté Élizabeth II, reine de Maurice, représentée sur place par un gouverneur général (et par un haut-commissaire, en tant que reine du Royaume-Uni). Mais, depuis le 12 mars 1992, la République a été proclamée et un président de la République élu pour cinq ans par le Parlement s’est substitué à l’ancien gouverneur général, à la tête de l’État mauricien. Néanmoins, l’organisation et le fonctionnement des institutions publiques mauriciennes n’ont pas fondamentalement changé. Ainsi, aujourd’hui encore, tout comme en régime parlementaire britannique, le pouvoir est effectivement exercé par un Cabinet, émanation de la majorité du Parlement, sous le contrôle de l’opposition. L’unique Assemblée législative se compose de soixante-dix membres, dont soixante-deux élus dans vingt circonscriptions à trois sièges et une à deux sièges (l’île Rodrigues) et huit désignés parmi les «meilleurs perdants» pour équilibrer la représentation des communautés. Au sein de l’Assemblée, la Constitution prévoit une opposition, dont le chef n’est pas seulement le challenger du Premier ministre mais peut être aussi le porte-parole des minorités, ce qui, comme l’attribution de «sièges correctifs» après les élections, permet d’équilibrer la représentation politique des communautés. Dans le même sens, la Constitution énumère longuement droits et libertés individuels et permet à tout individu de saisir la Cour suprême pour les faire respecter ou de s’adresser à l’ombudsman (personnage doté d’une grande autorité morale et chargé de recevoir les plaintes formulées par les citoyens contre l’administration).

Les partis politiques se sont identifiés au départ à une communauté raciale et religieuse: le communalisme, ressort et danger d’une vie politique aujourd’hui intense, a commencé à se développer à partir de 1948. Le Parti travailliste, grâce à l’appui des hindous, fait figure de parti dominant jusqu’au moment où, vers 1958-1959, Franco-Mauriciens et créoles se groupent en un Parti mauricien social démocrate (P.M.S.D.) et les musulmans en un Comité d’action musulman. À partir de 1965-1966, la revendication de l’indépendance rapproche hindous et musulmans: ils s’allient et remportent les élections décisives du 7 août 1967 contre le P.M.S.D. hostile à l’indépendance. S’instaure alors un bipartisme assez satisfaisant: sir Seewoosagur Ramgoolam, le leader travailliste qui amène son pays à l’indépendance, devient Premier ministre, et le leader du P.M.S.D., Gaétan Duval, chef de l’opposition. Mais, en novembre 1969, un gouvernement de coalition se forme, et, dans la place laissée vide par le P.M.S.D., se glisse un jeune parti d’allure révolutionnaire: le Mouvement militant mauricien (M.M.M.).

Une étonnante maturité politique

Les années soixante-dix ont été incontestablement marquées par la montée de ce nouveau parti. Créé en 1969 par quelques hommes, dont Paul Bérenger, le M.M.M. se veut multicommunautaire, c’est-à-dire hostile à l’identification d’un parti à une communauté raciale, et donc différent des partis déjà existants. Il est socialiste, et même marxiste, dans la mesure où il reprend le thème de la lutte des classes et prône la nationalisation des principaux secteurs de l’économie.

D’aspect «révolutionnaire» au départ, le M.M.M. déclenche, en liaison avec le General Worker’s Federation, une série de grèves et de mouvements dans le pays, qui conduisent le gouvernement à établir l’état d’urgence en 1971-1972 et à faire emprisonner un certain nombre de ses dirigeants. Le M.M.M. devient ensuite plus «légaliste» et va participer avec succès aux diverses consultations électorales.

Remportant un vif succès lors d’une élection partielle en 1970 et des élections villageoises de 1971, le M.M.M. n’aura plus l’occasion de mesurer sa force jusqu’à la fin de 1976, car un amendement constitutionnel a prolongé de quatre ans le mandat de l’Assemblée législative. Les élections générales ont lieu le 20 décembre 1976, dans un climat passionné mais dans le calme et la régularité: 413 candidats appartenant à 21 partis se disputent les 70 sièges de députés. Avec 34 sièges et 30 p. 100 des suffrages, le M.M.M. arrive en tête, mais il n’a pas la majorité absolue et le Premier ministre sortant forme un gouvernement avec l’appui d’une coalition regroupant les deux autres partis qui ont obtenu respectivement 28 sièges (Parti de l’indépendance) et 8 sièges (P.M.S.D.). De 1977 à 1982, la coalition au pouvoir se maintient grâce à l’autorité et à l’habileté du Dr Ramgoolam.

Malgré les ultimes tentatives de la majorité sortante pour se ressaisir, le M.M.M., faisant alliance avec le Parti socialiste mauricien (nouveau parti créé en 1980 par la sécession de certains députés travaillistes conduits par Harish Boodhoo), remporte une victoire totale: l’alliance M.M.M.P.S.M. remporte les 60 sièges de l’île, plus les 2 sièges de l’île Rodrigues qu’enlève l’Organisation du peuple rodrigais (O.P.R.) fondée par Serge Clair. Ce n’est qu’au système des sièges correctifs, mis en œuvre après décision de la Cour suprême, que l’opposition doit d’obtenir 4 des 8 sièges attribués aux «meilleurs perdants», sir Gaétan Duval se retrouvant à nouveau leader de l’opposition, avec 4 sièges sur 66. Le nouveau gouvernement (17 M.M.M., 7 P.S.M., 1 O.P.R.) a comme Premier ministre le leader officiel du M.M.M., Aneerood Jugnauth, un avocat de cinquante-deux ans, tandis que Paul Bérenger est ministre des Finances. Dès le début, il y a quelques dissensions entre le M.M.M. et le P.S.M. Mais, aux élections municipales urbaines de décembre 1982, le M.M.M. enlève 92 p. 100 des sièges et assure désormais la direction des six grandes agglomérations de l’île.

En mars 1983 s’ouvre une crise politique: une partie du gouvernement (11 membres sur 19) démissionne à la suite de Paul Bérenger qui devient chef de l’opposition (Gaétan Duval s’étant démis de son mandat de député au même moment); le Premier ministre crée un nouveau parti, le Mouvement socialiste militant (M.S.M.), avec ceux des membres du M.M.M. et du P.S.M. qui le soutiennent; il continue à gouverner avec une majorité très étroite. Le 17 juin, la dissolution du Parlement est prononcée et de nouvelles élections ont lieu le 22 août, après une campagne électorale animée qui a vu se constituer une Alliance entre le P.S.M. et le Parti travailliste contre le M.M.M.: l’Alliance obtient 41 sièges et 51,6 p. 100 des suffrages (auxquels s’ajoutent les deux sièges de l’O.P.R.), contre 19 sièges et 46,4 p. 100 des voix au M.M.M. Paul Bérenger, battu, ne revient au Parlement qu’au titre des «meilleurs perdants».

Pendant deux ans, la nouvelle majorité va gouverner sans trop de problèmes: certes, l’un de ses premiers projets – l’instauration de la République – échoue en décembre 1983, échec qui conduit sir Seewoosagur Ramgoolam à devenir gouverneur général, poste qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1985. Les difficultés vont apparaître avec l’implication de quatre ministres dans une affaire de drogue à Amsterdam, en décembre 1985; et avec la démission du gouvernement de H. Boodhoo en janvier 1986, suivie d’une série de défections: le cabinet est remanié à deux reprises, en janvier et en août 1986, et le Parlement est prorogé en novembre 1986. En définitive, cependant, une nouvelle dissolution est prononcée en juin 1987 et les élections, qui ont lieu le 30 août, donnent à l’Alliance M.S.M.-P.T.-P.M.S.D.-R.T.M. une large majorité (39 sièges) face au M.M.M. conduit par un nouveau leader, P. Nababsingh (21 sièges).

Toutefois, en 1990, le paysage politique mauricien a été profondément modifié par la conclusion d’une alliance «historique» entre le M.M.M. et le M.S.M. Ce «mariage de raison» autour d’un programme commun entre les deux principaux partis du pays a mis fin à la traditionnelle bipolarisation de la vie politique. À l’issue des élections législatives de 1991, l’union M.M.M.-M.S.M., avec 56,3 p. 100 des voix, a conquis 57 sièges sur 60 à l’Assemblée et n’en a concédé que 3 à l’opposition (avant l’attribution des sièges aux «meilleurs perdants»). Cette victoire écrasante a renforcé le pouvoir du Premier ministre sir Anerood Jugnauth et, dans le même temps, a considérablement affaibli l’opposition qui semble être aujourd’hui à la recherche d’un nouveau leader. En effet, sir Gaétan Duval, le leader historique du P.M.S.D., s’est mis en retrait, et le Dr Navin Ramgoolam manque encore visiblement de maturité politique, bien qu’il soit le «challenger» officiel de l’opposition.

Par ailleurs, c’est grâce à l’alliance M.M.M.-M.S.M. que, le 12 mars 1992, la République a pu enfin être proclamée à l’île Maurice, puisque ce sont sous les efforts conjugués de sir Anerood Jugnauth et de Paul Bérenger qu’il a été mis fin à la monarchie. Concrètement, ce changement de régime n’a pas bouleversé l’équilibre institutionnel du pays. La seule modification véritablement significative a été que, désormais, le chef de l’État n’est plus la reine d’Angleterre, mais un président désigné par le Parlement, en même temps qu’un vice-président, pour une durée de cinq ans. Le premier président, sir Veerasamy Ringadoo, n’est toutefois resté en fonctions que trois mois en raison de son appartenance à la communauté hindoue. Il a été remplacé par un musulman, Cassam Uteem, afin de donner un gage de confiance à la communauté musulmane qui se sentait menacée par la montée du communalisme. Vingt-cinq ans après l’indépendance, l’île Maurice fait ainsi preuve d’une étonnante maturité politique.

3. Les relations internationales

L’île Maurice joue dans la vie internationale un rôle dont l’importance n’est sans doute pas proportionnelle à sa taille. Cela tient à sa situation géographique et à son caractère assez exceptionnel de démocratie parlementaire dans cette partie du monde.

Membre de l’O.N.U. depuis 1968, l’île Maurice fait partie de vingt autres organismes internationaux: elle est membre du Commonwealth, de l’Organisation commune africaine et mauricienne (O.C.A.M.), des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique signataires de la convention de Lomé (pays A.C.P.) et de l’Organisation de l’unité africaine (O.U.A.). Elle entretient des relations avec la Chine populaire, bien que de nombreux Sino-Mauriciens aient des liens avec Taiwan, accueille l’O.U.A. à Port-Louis en 1976 mais continue à avoir des relations avec l’Afrique du Sud.

À son arrivée au pouvoir, le M.M.M. semblait amorcer un changement de cap, en raison de son orientation progressiste. Les relations avec d’autres gouvernements révolutionnaires de la région (Madagascar, Seychelles) se renforcèrent, et les positions sur la présence de la France à la Réunion parurent se durcir. Mais, même si les relations avec l’ex-U.R.S.S., la Chine et Cuba ont perduré, ainsi qu’avec certains pays arabes, Maurice a réaffirmé sa volonté de rapports positifs avec les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France. Il est notable que cette ouverture n’entrave pas les relations avec les autres pays de l’océan Indien. Par-delà les positions idéologiques, l’accent est placé maintenant sur la coopération économique, scientifique et culturelle régionale. En devenant le siège de la Commission de l’océan Indien créée en 1982 sous l’impulsion de la Communauté européenne, Maurice marque sa volonté de participer à une synergie des pays de la zone. L’aplanissement des difficultés soulevées par la place de la France, à travers la Réunion, ouvre la porte à une coopération croissante.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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